Entretien pour une parution éphémère du ZigZag-blog (juin 2015) :
1) Votre essai Nos limites est sous-titré « Pour une écologie intégrale ». Qu’entendez-vous par là ?
Avant toute notion militante, il y a d’abord un sentiment d’émerveillement, de gratitude, qui jaillit de la contemplation de la vie. Je crois qu’être écologiste, c’est d’abord être amoureux de la nature, au sens large, et donc être révolté face à tout ce qui la défigure. L’écologie intégrale consiste selon moi à revenir au sens originel de ce beau mot d’écologie qui devrait, idéalement, se suffire à lui-même, et que le biologiste allemand Ernst Haeckel a défini en 1866 comme « la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence ». Or, à rebours de cette définition globale, qui intègre tous les aspects de la vie sur Terre, on a souvent fait de l’écologie une cause purement environnementale, parallèle, extérieure aux problèmes sociaux, économiques, démographiques, etc. Or, qu’on le veuille ou non, il n’y a pas d’un côté la faune et la flore, et de l’autre les activités humaines. Tout coexiste, tout interagit : la règle du vivant, c’est l’interdépendance. Un botaniste comme Jean-Marie Pelt met en valeur des stratégies étonnantes de coopération entre certaines plantes et/ou animaux. Dans L’Ecologisme des pauvres, l’économiste Joan Alier montre, lui, comment la destruction de mangroves par l’industrie crevettière dans de nombreux pays tropicaux (l’Equateur, l’Inde, les Philippines, etc.) n’est pas seulement un désastre pour la biodiversité, mais aussi un drame pour les populations qui en tiraient leur subsistance depuis des siècles « de manière soutenable ». Autre exemple, dans le domaine bioéthique : la Gestation Pour Autrui. La GPA est une pratique qui, entre autres scandales, bafoue les liens extraordinaires qui se nouent pendant toute la grossesse entre la mère et l’enfant dans ce merveilleux petit écosystème qu’est l’utérus, puisque le nouveau-né, objet d’une transaction financière, est arraché à sa « mère-porteuse » par ses « parents intentionnels ». Dans ces deux cas très différents, la destruction d’un lien naturel entraîne de graves injustices sociales. L’écologie intégrale ne consiste donc pas seulement à préserver les milieux menacés par le productivisme et le consumérisme industriels, mais aussi, de manière plus philosophique, à réfléchir à notre place et à notre rôle dans le cosmos pour inventer un nouvel art de vivre plus respectueux de ce qui nous entoure. L’écologie intégrale, c’est donc la réconciliation de l’humanisme et de l’environnementalisme au nom de l’amour et du respect de la vie.
2) Mais ce qui définit l’humanité, n’est-ce pas justement sa capacité à dominer la nature, à s’émanciper de ses déterminismes ?
L’être humain est, selon la formule d’Aristote, un « animal politique », un être de culture et de rite, mais aussi un être capable de maîtriser des techniques complexes (homo faber) qui lui ont donné une prééminence certaine sur le reste du vivant. Mais opposer frontalement nature et culture n’a pas grand sens. Qu’est-ce que la culture en effet sinon un certain rapport à la nature des choses ? L’étymologie est éloquente à cet égard : la culture, c’est d’abord le travail de la terre, l’effort pour faire fructifier la nature. Une autre métaphore végétale parcourt d’ailleurs notre vocabulaire culturel, celle des racines, signe d’une correspondance assez étroite entre nature et culture dans notre vision du monde. Deux exemples concrets peuvent illustrer cette continuité. D’une part, l’agriculture biologique : des techniques telles la permaculture prouvent qu’on peut obtenir de beaux rendements agricoles sans implants chimiques si l’on observe attentivement le fonctionnement des écosystèmes, comme l’ont fait pendant des siècles les paysans à travers le monde. D’autre part, les premiers jours d’un nourrisson : l’allaitement est une réalité indissolublement naturelle et culturelle, puisque l’allaitement est une réalité indissolublement naturelle et culturelle, puisque l’enfant, s’il a l’instinct du fouissement (il cherche spontanément le sein maternel), doit apprendre à téter. C’est parce qu’il est totalement dépendant, encore peu adapté à la vie (contrairement à la plupart des mammifères qui mangent et marchent seuls en quelques heures), que la naissance d’un petit d’homme implique une société : le bébé a besoin de sa mère, et sa mère a besoin d’aide pour le mettre au monde et le protéger. Culturel, politique même dès sa naissance, l’être humain n’est donc en effet pas un animal comme les autres ! Dès lors, dominer la nature, ce n’est pas la manipuler ou la saccager, c’est la contempler, la comprendre et l’accomplir.
3) Mais concrètement, qu’est-ce que propose l’écologie intégrale pour que la vie soit mieux respectée ?
Loin de moi la prétention d’asséner quelque programme que ce soit ! Il s’agit d’abord d’un discernement personnel, même s’il faut aussi bien sûr agir sur les structures, remettre en cause une organisation soi-disant « économique » qui consiste bien souvent à confisquer et dilapider les ressources disponibles. Mais il fait commencer par simplifier notre existence, selon cette orientation : moins mais mieux ! Comment puis-je, ici et maintenant, vivre plus sainement ? Cela commence par des choix de consommation très concrets : limiter ses déplacements, acheter des vêtements d’occasion, des fruits et légumes de saison, locaux, biologiques, peu emballés, plutôt que des produits industriels importés, privilégier des systèmes collaboratifs comme le covoiturage ou le « co-working », s’inscrire à une AMAP, à un SEL, etc. Je ne crois pas aux solutions miracle, je crois aux initiatives locales qui modestement façonnent une économie circulaire, écologiquement saine et créatrice de lien social, plus proche du sens originel du mot économie, à savoir la bonne gestion des ressources de la communauté. En effet, notre société semble l’avoir oublié, mais écologie et économie ont la même racine : oikos, le foyer, la maison ! Il me semble prioritaire de montrer qu’au contraire de ce qu’affirme la doxa productiviste, qu’elle soit libérale ou étatiste, il y a plein d’alternatives sociales, solidaires, écologiques !
4) Mais « accepter nos limites », n’est-ce pas faire marche arrière ? N’est-ce pas renoncer au Progrès ?
Il faut sortir de l’idéologie du Progrès qui prétend qu’en faisant table rase du passé, on se prépare un avenir radieux. Non, tout « progrès » n’est pas positif. On dit aussi d’une maladie qu’elle progresse. Il faut être capable de choisir, d’accepter en conscience ou de refuser, si l’on veut rester maître de son destin sans céder aux modes. Il me semble par exemple que les transhumanistes qui nous promettent d’augmenter, améliorer l’humain, en repoussant les limites de notre corps, se mettent surtout au service des progrès de la technique sans âme et du marché sans loi. Tout se paie. Mieux vaut choisir, comme Pierre Rabhi et tant d’autres, une forme radicale de sobriété volontaire en modérant ses désirs matériels pour se concentrer sur la joie intérieure. Cela implique de renoncer à l’illusion du « no limit », c’est-à-dire d’accepter nos propres limites, non pas comme un insupportable carcan, mais comme le cadre à l’intérieur duquel l’autre d’obstacle devient allié, et d’allié ami.
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