Veille, décence, sobriété

Entretien avec Patrice de Plunkett pour Képhas à propos de la « marche des veilleurs » (août 2013) :

L’un des buts de cette marche était d’élargir la conscience des « veilleurs », de comprendre que la loi Taubira n’est que l’un des aspects de l’offensive générale de l’artificiel contre le vivant : une offensive qui se déploie dans beaucoup d’autres domaines, et qui est liée au modèle économique actuel. Ce but a-t-il été atteint ? Pouvez-vous en donner une série d’exemples vécus sur le terrain ?

Permettez-moi d’abord de préciser que je parle en mon nom propre, en simple veilleur, puisque les Veilleurs n’ont ni porte-parole ni doctrine. Les Veilleurs cherchent à vivre l’expérience du décloisonnement, que ce soit entre les personnes, les sensibilités politiques, ou entre les combats. Nous ne sommes pas dans une logique de performance, de résultat, mais d’expérience vécue, de dialogue de personne à personne. Pour cette marche de Rochefort à Nantes, puis à Bondy, Sartrouville et Paris, je ne peux donc pas parler d’un but atteint, d’un pari gagné, simplement attester une grande richesse de rencontres et de découvertes. Si la richesse de ces expériences ne se mesure pas, elles auront incontestablement permis aux marcheurs de sortir des sentiers battus pour élargir leur vision des problèmes contemporains. Tous les veilleurs ayant marché au moins quelques jours (plus d’une centaine en tout, je pense) ont en effet eu l’occasion de me dire combien ils avaient reçu, humainement, intellectuellement, culturellement, dans leur appréhension et leur compréhension de certains grands enjeux contemporains.

Cette marche nous a permis d’incarner notre veille, elle nous a incités à nous confronter chaque jour au réel tel qu’il est, à saisir la variété des vulnérabilités qui touchent l’homme et des solidarités qui en naissent. Ainsi, en marchant et en veillant le long des côtes charentaises et vendéennes ravagées entre autres par Xynthia en février 2010, nous avons pu mesurer combien l’homme dans sa modernité restait fragile face aux forces de la nature, et combien il pouvait lui en coûter d’oublier – et a fortiori de refuser – sa condition d’être vivant dans un environnement qu’il ne saurait maîtriser intégralement. Nous sommes des êtres conditionnés : on ne conquiert pas sa liberté en s’arrachant à ses déterminismes, mais en les assumant pour mieux les dépasser. A Châtelaillon, face à l’océan, sur la plage des Boucholeurs, nous avons réfléchi à la place de l’homme : place de l’individu dans la société, du citoyen dans la République, de l’humain dans l’univers. Nous avons souvent eu l’occasion de dire que si l’on renonçait à prendre sa juste place – toute sa place, mais rien que sa place – il ne fallait pas s’étonner de créer ainsi un certain nombre de déséquilibres, ces déséquilibres entraînant des disparités et, fatalement, la nature ayant horreur du vide, les disparités des débordements. Les Veilleurs essaient ainsi de retrouver un rapport proportionné au réel, de remettre chaque chose à sa place. Cela implique de ne pas céder aux slogans réducteurs, aux formules spécieuses, à cette incantation publicitaire qui fait trop souvent office de parole politique. Je crois que c’est là le préalable à toute vision écologique, retrouver un regard ajusté, à la fois panoramique et précis, qui permet d’accueillir le réel tel qu’il est avant de prétendre le transformer à notre guise.

La marche a été pour nous l’occasion de mieux comprendre la vocation de la veille. Nous avons ainsi pu éprouver qu’un double écueil nous menaçait : l’utopisme et le passéisme. Et que pour éviter de tomber de Charybde en Scylla, nous devions chercher à être très simplement des passeurs, autant préoccupés par la transmission que par l’adaptation. Les Veilleurs ne prétendent pas refaire le monde, mais au contraire le comprendre pour mieux le préserver et mieux le préserver pour mieux le partager. Pour empêcher qu’il ne se défasse, comme le disait Camus dans son magnifique discours de réception du Prix Nobel en 1957, texte que nous lisons souvent tant il éclaire notre présent. Cela implique d’être attentif à l’espace comme au temps, à tout ce qui vit, spécialement à tout ce qui souffre, dans un esprit de vigilance active. A La-Tranche-sur-Mer, où nous avons justement veillé sur le thème de la vulnérabilité, j’ai eu l’occasion de dire que les digues que l’homme bâtissait pour protéger les plus fragiles – les remblais sur le littoral ou les institutions civiles comme le mariage – risquaient d’être bien vaines si on n’en discernait pas avec prudence leur adaptation à leur milieu, leur bienséance. Nous avons ce soir-là réfléchi, avec Tugdual Derville entre autres, à la place du handicap dans nos sociétés de performance, et aux projets de transhumanisme. Un marcheur, Vincent, a dit quelque chose de très juste et de très beau : comment ferons-nous pour faire société, quand nous aurons supprimé toutes les vulnérabilités qui nous relient, ces interdépendances qui sont autant de bosses et de trous qui nous permettent de tenir ensemble ? Le handicap est une exigence vitale pour tous : comment adaptons-nous nos modes de vie pour donner à chacun, dans sa vulnérabilité propre, sa juste place ? Hélas, notre société a de plus en plus tendance à contourner ce problème en supprimant le vivant plutôt qu’en adaptant l’environnement.

Ce que vous appelez l’offensive générale de l’artificiel contre le vivant me semble en effet venir fondamentalement d’une crise de la décence, étymologiquement de ce qui convient. L’artificiel envahit nos existences quand nous adoptons un regard biaisé sur les choses, quand l’essence d’un être n’est plus reçue comme un donné qui fait sens en lui-même, mais comme une contingence purement aléatoire. Alors pourquoi pas en effet le clonage, l’eugénisme, l’euthanasie, et par conséquent, puisque l’homme ne vaut plus que par ses performances, l’homme augmenté, l’homme-cyborg, les « interactions homme-machine » dont parle Arnaud Montebourg dans son rapport sur la France en 2025 ? A contrario, nous pensons que l’homme ne croît qu’à mesure qu’il s’accepte, non pas comme impuissant, mais comme non-toute-puissant. Tout ou presque peut être techniquement possible, mais tout ce qui est techniquement possible est-il humainement bon ? Là est le cœur, me semble-t-il, des grands enjeux de civilisation présents et à venir. Les Veilleurs en tous cas y reviennent souvent. Je suis toujours frappé à ce propos qu’en veillant sur des thèmes aussi divers qu’Inégalité et Injustice, Corps et Science, Mémoire et Espérance, ou encore Ecologie et Economie (à Nantes), nous revenions toujours très naturellement aux enjeux de filiation et d’altérité sexuelle, non pas obsession, mais par cohérence, parce que c’est là que la lutte de l’artificiel contre le vivant est la plus violente.

Face à cette tentation de la toute-puissance technique, l’un des buts de la marche était précisément de retrouver le sens des bonnes proportions, et d’abord en retrouvant un contact direct, immédiat, à notre environnement, dans son étrange complexité. Veiller en effet, c’est tâcher de voir loin, mais pas de loin, derrière un écran : c’est se libérer des artifices qui obstruent et tordent notre relation avec ce qui nous entoure et ce qui nous accueille pour regarder avec ses yeux de chair. Ce qui doit, je crois, nous importer plus que tout, c’est l’exigence de clairvoyance face aux transformations du monde, qu’elle soient naturelles, sociales ou législatives, à un moment historique où toute évolution bénéficie d’un a priori positif. Les Veilleurs veillent pour ne pas être dupes. Je me suis souvent étonné pendant les veillées que les deux derniers présidents de la république se soient fait élire l’un sur la rupture, l’autre sur le changement : quel aveu ! Nous veillons nous pour savoir ce qui vaut vraiment, discerner ce qui mérite d’être préservé et ce qui mérite d’être modifié.

Cette marche aura, je crois, permis à ceux qui l’ont faite – à moi en tous cas – d’approfondir cette attention vitale aux forces et aux fragilités de notre société. C’était bouleversant, à Charron, au nord de La Rochelle, d’écouter des habitants nous raconter comment, après les ravages de la tempête, des gens qui s’ignoraient largement jusque là dans ce bourg à l’habitat très dispersé se sont rapprochés, dans une solidarité d’urgence devenue une solidarité de long terme. Le thème, ce soir-là, c’était Résister et Reconstruire. Je me souviens que nous avons conclu la veillée par un texte extraordinaire de Bernanos, dans Les Enfants humiliés, sur la patience des pauvres dont nul ne triomphera. Les « brutes polytechniques » peuvent tout détruire – et faire disparaître à jamais les équilibres et les savoirs traditionnels : « les vieilles ouvrières gardent le secret de certains points de dentelles que les mécaniques ne réussissent jamais à imiter » – elles ne sauront jamais reconstruire, car il leur manque l’amour. La religion du Progrès infini est une « route qui ne mène nulle part » parce qu’elle détruit petit à petit les conditions mêmes de l’existence humaine. La « machine publicitaire » peut nous transformer en bêtes n’ayant « qu’un mobile, l’intérêt, qu’un Dieu, le bonheur, et qu’une mystique, celle de l’instinct », elle ne fera pas de nous des femmes et des hommes libres capables de consolider et de relever ce qui doit l’être. On ne bâtit que par amour, on ne reconstruit que dans l’espérance, telle fut la leçon de cette veillée au milieu de ce village endeuillé, dévasté mais aussi réveillé par la tempête, où la vie continuait malgré tout.

2. La notion d’écologie humaine prend corps en ce moment chez les catholiques. Qu’apporte-t-elle de neuf ? En quoi est-elle un progrès, créant des passerelles entre des domaines que l’on croyait séparés ? L’écologie « humaine » alliée à l’écologie environnementale ne forme-t-elle pas une écologie « plénière », totalisant l’ensemble des responsabilités de la créature humaine envers le reste de la création ?

La démarche des Veilleurs est éminemment écologique, puisque réfléchir aux conditions du Bien commun, c’est d’abord s’intéresser aux interactions de l’homme et de son milieu. Soucieux du respect des équilibres naturels et culturels, les Veilleurs s’efforcent ainsi de développer une authentique écologie, dans son sens initial de « science des conditions d’existence ». Plutôt que d’écologie humaine, je préfère parler pour ma part d’écologie intégrale. Ecologie humaine comme écologie environnementale sont en quelque sorte des pléonasmes, puisque la racine étymologique, c’est l’oikos, la maison, l’habitat. Il y a donc déjà dans le mot écologie la notion de vivre-ensemble, de convivenza, de convenance entre des êtres et leur environnement. Il est évident qu’on perd beaucoup de temps si l’on sépare délibérément des préoccupations qui sont non seulement conciliables mais consubstantielles. Quand on jette des passerelles entre des combats connexes, on se rend compte que tout est inextricablement mêlé. Vous n’avez plus seulement des rivières parallèles, mais un delta.

Beaucoup de rencontres pendant la marche ont suscité des prises de conscience radicales. Par exemple, une soirée et une matinée chez un couple à la retraite, au nord de la Vendée, a permis à quelques uns des marcheurs, dont j’étais, de découvrir ce que pouvait être une agriculture profondément écologique. Au milieu des champs immenses de maïs hybride, le potager de Jean et Malou offrait un contraste émouvant : des semences traditionnelles reproductibles, cultivées sans produits chimiques (le purin d’orties comme désherbant), mais en marge des règles légales… Ils nous en effet appris qu’ils trouvent leurs graines bio lors de grandes bourses régionales où s’échangent certaines semences interdites de commercialisation sous le fallacieux prétexte de la santé publique, en réalité pour assurer le monopole des grands semenciers industriels comme Monsanto. Nos hôtes eux font très naturellement le lien entre procréations artificielles et manipulations génétiques : ils refusent d’un même élan PMA/GPA et OGM, ainsi d’ailleurs que le projet mégalomaniaque de construction d’un nouvel aéroport à Nantes. A ce propos, Jean est fier de nous apprendre que le père de son père (les deux s’appelaient Jean) cultivait la terre à Notre-Dame-des-Landes. Nous repartirons chacun avec un sachet de graines d’une variété rare de haricots vendéens, sur lesquelles un sacré-cœur s’est dessiné, d’après la prédiction d’un prêtre réfractaire. L’image est saisissante : la résistance est totale ou n’est pas.

C’est pourquoi notre vigilance ne peut être schizophrénique. S’inquiéter des bouleversements législatifs et technologiques de la filiation sans se préoccuper de la mainmise de grands groupes industriels sur les semences agricoles, en situation de quasi-monopole grâce à la complicité des pouvoirs publics. S’insurger contre les manipulations génétiques sur l’humain sans voir qu’elles participent d’une vaste entreprise de brevetage du vivant. Manifester contre l’extension des PMA, la légalisation de la GPA ou l’introduction étatique de l’indifférenciation sexuelle à l’école, sans s’opposer de concert à l’intrusion du tout-technique et du tout-marketing dans l’intime de nos vies. Tout est lié. Comment ne pas faire le lien entre les dénis de démocratie (absence de concertation, mépris de l’opposition, effets de censure…) constatés pour le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, celui de la ligne TGV Lyon-Turin ou encore du projet de grand stade à Lyon surnommé l’OL-Land, et celui entourant le mariage et l’adoption pour tous ? D’autant plus qu’à cette ressemblance de forme s’articule une ressemblance de fond. J’ai été extrêmement touché – et je crois, tous les Veilleurs à qui j’en parlais – par les paroles d’une chanson d’un opposant historique à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes dont le refrain est : « Citoyen, sois résistant, car Notre-Dame-des-Landes, c’est la terre de tes parents / Citoyenne, sois résistante, car Notre-Dame-des-Landes, c’est la terre de tes enfants ». Même souci de l’héritage et de la transmission, même souci d’une relation convenable, harmonieuse de l’homme à son environnement, même souci de la responsabilisation civique : nous avons tant de choses à nous dire !

Je pense que la clef de l’écologie véritable est là, dans la capacité des personnes à se relier pour développer ensemble un rapport plus sain, mieux adapté, à leur environnement. On nous a racontés par exemple à La Flotte-en-Ré comment des insulaires se sont pris en charge eux-mêmes pour ériger une digue, face à l’inertie des pouvoirs publics. Mais vous aurez beau édifier une digue immense, il y aura toujours une vague qui réussira à passer par-dessus, et elle sera d’autant plus destructrice que, rassurés par la hauteur de votre digue, des gens s’installeront sous son ombre. Ce qui sied, c’est ce qui sait s’inscrire harmonieusement – naturellement – dans un milieu, en respectant son rythme particulier, son équilibre propre. L’écologie telle que l’ont vécue les Veilleurs pendant leur marche, c’est cela, je crois : l’articulation de la responsabilité personnelle et de la solidarité collective au service d’une juste relocalisation de nos existences, forme primordiale du retour à l’incarnation. Face au terrible raz-de-marée de Lisbonne en 1755, Voltaire accuse la providence divine, Rousseau l’irresponsabilité humaine. Hier comme aujourd’hui, convient-il que des maisons soient construites hâtivement, pour le bénéfice de certain promoteur immobilier et avec la bénédiction d’une municipalité imprudente, dans des zones particulièrement inondables ? Convient-il qu’on modifie génétiquement des organismes à des fins commerciales ? Convient-il qu’on bâtisse un nouvel aéroport à Nantes sur des terres agricoles ? Convient-il que le mariage, cadre de protection de la filiation, soient ouverts à tous les couples, quels qu’ils soient ? Convient-il qu’on fabrique des enfants en laboratoire pour en vendre à qui veut ? Les Veilleurs ont mieux pris conscience que pour répondre à ces délicates questions de manière vraiment humaine, il fallait d’abord prendre l’homme à la fois comme un tout (corps et esprit ; culture et nature), comme une fin (et non pas un moyen), et comme l’élément d’un tout auquel il participe sans l’épuiser.

3. Parmi les foules considérables rassemblées par la Manif pour tous, seule une petite minorité a atteint l’idée d’écologie humaine, en dépassant le stade de la « protestation morale » (sans tomber dans le panneau de la récupération politique). Cette minorité peut-elle jouer le rôle d’une avant-garde ? À quelles conditions (sur le plan intellectuel et moral) ? Dans quelles perspectives  ? (ni « contre-société » repliée, ni enlisement dans la politique partisane).

J’ai du mal à mesurer le degré de conscientisation sur l’écologie intégrale des foules mobilisées les mois passés pour défendre le sens du mariage et le droit des enfants. Je constate pour ma part que beaucoup de gens commencent à faire des liens entre toutes les sortes de mainmise technique sur le vivant, de la PMA aux OGM en passant par l’utérus artificiel. Les Veilleurs sont loin d’être les seuls à saisir la cohérence du projet libéral-libertaire. J’atteste par exemple que dans les milieux de Printemps Français, on est de plus en plus sensibles à des pensées alternatives comme celle du philosophe Jean-Claude Michéa. Les connexions se font de plus en plus naturellement. Il est certain qu’un parti comme EELV qui confisque le beau nom d’écologie tout en se faisant les idiots utiles de la marchandisation universelle, encourage une confusion idéologique qui retarde la nécessaire rencontre des résistances. La corruption du meilleur (l’écologie) engendre le pire (les Verts).

Je ne sais pas si les Veilleurs joueront le rôle d’une avant-garde, en revanche, je pense qu’ils participent déjà de la logique impérative de décloisonnement. Avoir dans sa bibliothèque des auteurs aussi différents que La Boétie, Simone Weil, Camus, Delsol, Sartre, Huxley, Sophocle, Saint-Ex… ; lire Gramsci et Gandhi, Engels et Tocqueville, Charles Péguy et Jules Ferry, Aragon et Günther Anders,  Danton et Thoreau, etc., ce n’est pas rien ! Et cela produit des rencontres étonnantes, bien loin des cases rassurantes où l’on s’enferme volontiers. Qui est capable d’assumer de manière cohérente un tel éclectisme ? Nous assumons ce côté « auberge espagnole », parce que nous ne cherchons pas seulement chez ces penseurs une confirmation de nos convictions, mais surtout une multiplication des perspectives à partir desquelles chacun peut trouver matière à penser. Chaque veillée est à la fois un trait d’union et un point d’interrogation. Pour introduire une veillée sur Utopies et Idéologies, j’ai pu paraphraser de manière provocatrice Dante : « Vous qui veillez ici, abandonnez toute certitude ! ». Non pas que nous devions tomber dans le relativisme informe, produire une bouillie intellectuelle indigeste, mais parce qu’il est toujours utile, et souvent nécessaire, de se laisser interroger, bousculer par des regards différents, de prendre un peu de distance avec ses modes de pensée. Si l’on considère des enjeux aussi complexes que les problèmes d’économie, d’aménagement du territoire, de filiation, ou de fin de vie, avec sectarisme, c’est-à-dire de manière cloisonnée, séparée, on se condamne à la partialité idéologique.

Plus largement, les Veilleurs tâchent de contribuer à la conscientisation et à la responsabilisation civiques, notamment en plaçant au cœur des réflexions qui engagent l’avenir l’exigence de la transmission de notre patrimoine commun, culturel et naturel. L’urgence est, je crois, à la simplification de nos existences, et à la cohérence de nos modes de vie. S’inscrire dans l’ici et le maintenant, sans s’y enfermer. Chercher pour chaque problème l’échelle adaptée, dans un double esprit de subsidiarité et de solidarité. Considérer avec bienveillance ce qui est, certes sans complaisance, mais sans suspicion systématique non plus. Comme l’écrit Bernanos, « la véritable humilité est d’abord une décence, un équilibre ». Je pense que tous ceux qui ont participé d’une manière ou d’une autre à cette marche ont pu retrouver un certain sens de la mesure, au triple sens de modération, de dimension et de précaution. Et d’abord, parce que la marche est une admirable école de sagesse et de contemplation. Pas de meilleur moyen en effet que la marche attentive pour appréhender un paysage, un territoire ! En marchant, vous gagnez en intensité ce que vous perdez en vitesse. Et comme le répétait l’un de nos marcheurs, que la France est belle à cinq km/heure ! La marche vous fait revenir opportunément à une échelle plus juste, votre force n’est pas décuplée, votre effort n’est produit par aucun carburant, vous êtes ce que vous êtes, sans triche, à hauteur d’hommes, à une juste échelle. Dans un monde largement dérégulé, l’intempérance nous guette, elle guette particulièrement le militant qui risque sans cesse, emporté par son élan, de se payer de mots, de céder à la grandiloquence. Un Veilleur marche et veille pour ne pas prendre des vessies pour des lanternes, pour appeler un chat un chat, pour s’affranchir des facilités de la confusion idéologique qu’entraîne parfois la bonne volonté militante. Veiller, c’est retrouver l’économie de moyens : une place publique, des bougies, des citations, des prises de parole spontanées… Nous veillons dans une forme de frugalité consentie, cette sobriété joyeuse chère aux décroissants qui permet en même temps de tisser du lien social et de se recentrer sur l’essentiel. Marcher, marcher longtemps, implique de se dépouiller d’abord de ses illusions pour retrouver la justesse de son rapport au monde, justesse du regard qui est un préalable à la justice des actes. La plupart des Veilleurs sont jeunes, la moyenne d’âge pendant la marche tournait autour de 25 ans : nous sommes une génération à qui l’on promet encore monts et merveilles techniquement, mais qui hérite d’un monde en déshérence, ravagé par un économisme sans queue ni tête. Les Veilleurs ont conscience que notre époque souffre de gigantisme et de fringale, ils constatent que l’homme contemporain supporte de moins en moins d’être borné dans ses caprices, limité par sa nature. Ils pressentent que la frénésie du tout est possible ne mènent qu’à la guerre de tous contre tous, à la certitude que tout peut être détruit (Hannah Arendt). C’est l’éternel retour de l’hybris antique, cette fois est soutenu par des capacités scientifiques démentielles. L’homme désormais peut faire main basse sur le vivant. Y survivra-t-il ?

4. Ces manifestations ont été l’occasion – pour beaucoup de jeunes – de comprendre pour la première fois un enjeu « sociétal », hors des fausses évidences et des conformismes d’aujourd’hui. Comment les amener à voir que le sociétal fait partie du « social », et ne peut être séparé de toutes les luttes pour la justice et la dignité humaine ?

J’observe que les jeunes de ma génération sont beaucoup plus transversaux que vous ne semblez le croire. Certains, bien sûr, les plus visibles peut-être, sont encore tributaires des vieux schémas à la papa, voire à la papy, qui ne rendent plus compte que très imparfaitement du monde complexe dans lequel nous sommes, mais les lignes bougent en profondeur. Beaucoup d’entre nous comprennent par exemple combien archaïque et artificiel est le clivage droite/gauche. De même que la distinction social/sociétal, supposée séparer notamment les chrétiens progressistes des chrétiens conservateurs. Tout cela n’a aucun sens. Le sociétal n’existe pas. Tout est social, même si certaines réformes comme la transformation de l’institution du mariage en contrat indifférencié prennent une dimension plus fortement civilisationnelle. C’est d’ailleurs ce qu’avait assumé Christiane Taubira fin 2012, avant que de nouveaux éléments de langage n’apparaissent, ultra-individualistes cette fois. Mais, défendre l’institution du mariage homme/femme, ce n’est pas défendre une valeur, ni même d’abord une vision anthropologique, c’est avant tout lutter contre la précarité familiale, dont les rapports du Secours Catholique nous rappellent chaque année qu’elle est la première cause de précarité sociale. De façon générale, les centaines de milliers de manifestants n’avaient rien à gagner, ne revendiquaient rien pour eux-mêmes, c’est bien qu’ils défendaient des principes politiques plus vastes, qui leur paraissaient fondateurs, essentiels non pas pour leur bien-être personnel, mais pour la cohésion sociale et la dignité humaine. Plus ou moins consciemment, je crois que c’est ce qui a mobilisé tant de gens, l’attachement à la filiation naturelle et à la conjugalité comme liens sociaux fondamentaux, sans lesquelles aucune société ne peut tenir. De même, à propos de l’idéologie de l’indifférenciation sexuelle ou de la PMA/GPA, qu’est-ce qui est refusé sinon le règne du caprice consumériste qui veut que chaque désir soit institué en droit, que chaque lubie individuelle soit reconnu comme devoir social ? Derrière tout cela, chacun pressent bien qu’une société inhumaine se dessine, un monde à la Huxley ou à la Orwell, société du contrat et du contrôle où le sens de l’intérêt public est confisqué par la technique toute-puissante, où le discernement personnel s’efface sous la manipulation publicitaire de la pulsion consumériste et du slogan politicien, où la décence commune se voit remplacer par la surveillance étatique permanente des désirs individuels subtilement téléguidés. Je crois donc que le lien est fait entre combat sociétal et combat social, sinon toujours dans les mots, du moins, et c’est l’essentiel, dans les actes.

5. La réalité étant la même pour tout le monde, certaines de ces luttes devraient amener la convergence de personnes (et de sensibilités) séparés ou opposés, jusqu’ici, par des préjugés réciproques parfois violents. Le devoir des catholiques sociaux est de tout faire pour dissiper ces préjugés, même si c’est difficile (et unilatéral au premier abord). Vous en avez fait l’expérience durant la marche sous diverses formes, des plus modérées aux plus extrêmes… Pouvez-vous nous en parler ?

Ce que je constate, et sans excuser nos propres manquements, c’est que le refus du dialogue, l’obstination, la fermeture idéologiques, la violence verbale ou physique ne viennent pas des opposants à la loi Taubira. Loin de là. Je suis toujours frappé au contraire par la patience argumentative de beaucoup d’entre nous face aux slogans sempiternellement ressassés par les progressistes auto-proclamés. A propos, je ne voudrais pas qu’on puisse induire de mes propos qu’il y ait une quelconque unanimité chez les Veilleurs. Nous avons bien sûr beaucoup de convictions en commun, nous sommes rassemblés par notre attachement à la fois viscéral et intellectuel à certains principes fondateurs (et en premier lieu, la liberté de conscience, la droit de chaque enfant à grandir avec un père et une mère, l’altérité sexuelle perçue comme complémentarité plutôt qu’inégalité), cependant nous ne sommes pas d’accord sur tout. La marche a été l’occasion d’échanges parfois vifs sur des questions importantes. Dans une certaine mesure, cela signifie que la volonté de dialogue prime sur l’accord. C’est ce que nous a dit d’ailleurs le député PS Jérôme Lambert qui a fait deux heures de route depuis sa circonscription charentaise pour venir nous parler à Châtelaillon : d’abord, l’échange dans un esprit de fraternité républicaine. Par exemple, quand nous avons marché en Loire-Atlantique, je demandais presque systématiquement à ceux que je rencontrais leur position sur le projet de nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Et si globalement (aussi parce que nous étions au sud de la Loire), les avis étaient globalement défavorables, j’ai pu mieux comprendre la position des pro. Ou en tous cas sortir de ce nouveau clivage injuste : affreux productivistes pollueurs d’un côté, braves humanistes soucieux de la préservation de la nature de l’autre. En réalité, le problème est complexe et à partir de ce que j’ai compris, je le formulerais ainsi : sommes-nous avec ce projet au niveau d’un simple problème de gestion des flux, d’aménagement du territoire (anticiper la saturation prévisible de l’actuel aéroport de Nantes) ou au niveau d’un profond choix de civilisation (garder le même modèle de développement économique) ? L’ennui avec la confrontation des points de vue contradictoires, c’est qu’il devient difficile sur certaines questions d’avoir des avis définitifs et absolument tranchés. Simplifier son rapport au réel pour être plus disponible à la complexité du monde, je crois qu’on pourrait définir ainsi la méthode des Veilleurs.

A propos des préjugés artificiels, un mot sur la violence de certains à notre endroit. A Rochefort et à Châtelaillon, une poignée de contre-manifestants – ou plutôt de contre-veilleurs puisque nous ne manifestons pas – étaient présents assez silencieusement. Nous avons pu échanger avec eux, et la première soirée, l’un d’eux a pris la parole devant la Corderie royale pour nous exposer sa définition de l’égalité. Un lien a été créé, certes ténu, mais correct. Le lendemain, les mêmes ont refusé de nous parler et ont déployé une banderole pour dire non à l’homophobie, ce à quoi nous n’avions rien à redire, ne nous sentant pas concernés. Il y avait quelque chose de comique – comme souvent avec ces gens-là qui ont l’art du décalage grotesque et du contre-sens absurde – à voir ce message déployé pendant que Jérôme Lambert parlait, lui qui a voté toutes les lois contre l’homophobie, et le PACS également… A Couëron, en revanche, l’ambiance était bien différente. Des gros tracteurs, des grosses baffles, des grosses insultes, des gros cris, des gros coups, des grands guignols et des vrais idiots utiles… Des anarchistes demandant à la police d’expulser des citoyens de l’espace public, et se faisant milice gouvernementale en traquant des prétendus délinquants homophobes, des féministes poussant des cris dès qu’une jeune fille prenait la parole… L’une des animatrices, Marianne a tout de même réussi à discuter avec trois d’entre elles. La violence verbale alternait avec l’aveu de blessures profondes, notamment cette phrase révélatrice : « Dès qu’il y a un homme dans une famille, il y a danger… ». Une des choses les plus étonnantes, c’est que ces gens ont, dans une certaine mesure, veillé avec nous, puisqu’ils réagissaient aux propos et aux textes lus. Au milieu du vacarme qu’ils produisaient pour nous décourager, ils écoutaient un peu, de même que les policiers qui nous encerclent quand nous veillons à Paris. Même si les plus jeunes d’entre nous ont été très choqués, notamment parce que face à cette violence prévue de longue date (les RG m’appelaient tous les jours pour me confirmer qu’il y aurait des contre-manifestants brutaux),  il n’y a eu au début que cinq gendarmes, cette soirée a eu quelque chose de farcesque… Nous en avons d’ailleurs bien ri le lendemain pour évacuer le stress. C’est la farce des agents de déstabilisation pilotés par le pouvoir en place qui se prennent pour des résistants au système de domination, alors qu’en réalité leur sectarisme le consolide. Le premier ministre est tout content de ce genre de soirées, qui divise un peu plus les Français actifs et décrédibilise les opposants à l’Ayrault-port. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de dire à un moment de cette mémorable veillée que nous ne devions pas céder au piège du pouvoir en place – diviser pour mieux régner – en vouant aux gémonies nos agresseurs, mais au contraire toujours garder – même si c’est dur quand on se fait cracher au visage – la main tendue et le sourire aux lèvres. Et surtout ne pas céder à la facilité de l’amalgame qui renforce les murs au lieu de les abattre. Mais je crois que chacun des Veilleurs ce soir-là a su surmonter son ressentiment, et considérer que si ces personnes se comportaient ainsi, c’est qu’elles devaient être profondément blessées. C’est en tous cas ce que nous nous sommes dit le lendemain. Les extrémistes se font toujours les alliés objectifs du camp qu’ils prétendent combattre. Ils retardent la nécessaire et logique convergence des luttes, quand d’autres seraient prêts à franchir le pas, s’il n’y avait pas ces interdits idéologiques et ces œillères partisanes. Voilà pourtant ce qui ferait trembler les gouvernements imbus de leur pouvoir : que les citoyens en révolte unissent leurs luttes respectives et sachent proposer, non pas un programme commun – convergence n’est pas accord unanime –  mais des alternatives communes aux maux qu’ils dénoncent de concert. Ainsi y avait-il ce soir-là, sur la place de l’hôtel de ville, un conseiller municipal apparenté PS avec un badge « Non à l’aéroport NDDL » absolument désolé par la violence absurde de cette vingtaine d’excités qui se prétendent antifas (parfaits anti-fascistes de pacotille tels que Pasolini les a identifiés), et posent, me confiait-il, d’énormes problèmes pour la mobilisation largement pacifique de la ZAD qu’ils parasitent. Lui, comme bien d’autres, avait l’air de comprendre nos inquiétudes, et même de nous soutenir à demi-mots. De la même manière, un jeune homme, qui était venu contre-manifester, a fini par rejoindre le cordon de sécurité que nous avons formé pour pouvoir veiller malgré tout, et comme nous l’avions prévu, sur la conscience et la loi. J’ai pu échanger quinze minutes avec lui, et lui faire reconnaître par exemple que le droit de l’enfant devait primer en toutes circonstances sur un prétendu droit à l’enfant, devant une journaliste de Ouest-France tout étonnée. Telle est la force irrépressible de la non-violence que nous avons eu ce soir-là, comme le lendemain à Nantes, eu la chance – la grâce – d’éprouver.

6. Le pape François multiplie les directives en ce sens : << Nous devons  »aller à la rencontre » : nous devons créer, avec notre foi, une « culture de la rencontre », une culture de l’amitié, une culture où nous trouvons des frères, où nous pouvons parler aussi avec ceux qui ne pensent pas comme nous, avec ceux qui ont une autre foi. Ils ont tous quelque chose à en commun avec nous : ils sont l’image de Dieu. >> Créer des écosystèmes de convivialité est-il une utopie dans la société actuelle ?

 Les Veilleurs ne se situent pas face à un quelconque magistère, même si beaucoup d’entre nous professent la foi catholique. Je crois très simplement que les Veilleurs répondent à cette urgence en se rendant disponibles – et vulnérables – à la rencontre, imparfaitement certes, mais avec persévérance. En veillant sur les places publiques, nous sommes livrés au jugement des passants, souvent à leur indifférence, parfois à leur hostilité. Mais il n’y jamais eu de réaction d’incompréhension brutale qu’un échange cordial n’ait pu dissiper.

J’aime beaucoup dans l’entretien du pape aux revues jésuites sa définition de l’Eglise comme hôpital de campagne : les Veilleurs essaient aussi de vivre simplement cette exigence de l’accueil et de l’écoute des blessures quelles qu’elles soient. A une veillée à Lyon, l’une de mes amies a pu ainsi dire combien elle était énervée quand elle entendait que les opposants à la loi Taubira étaient tous des privilégiés, des gens qui (comme moi) ont eu la chance de grandir dans une famille unie, avec un père et une mère aimants, elle qui a vu ses parents se déchirer dans des conditions particulièrement difficiles. Et Philippe, un des trois veilleurs à avoir fait toute la marche de Rochefort à Paris, qui nous a parlé de son douloureux divorce, et de ses deux enfants, dont l’un est antifa, l’autre lesbienne, avec qui il se bat pour garder un lien d’amour. Et ce jeune issu de la DDASS. Et ce jeune ouvrier nantais qui est revenu plusieurs fois à nos veillées – qu’il découvrait à peine – et qui me confiait sa solitude et son inquiétude. Et ces deux femmes lesbiennes qui, lors de notre veillée à La-Faute-sur-Mer, nous apercevant depuis le parapet, s’écrièrent : « C’est quoi, cette secte ! », avant de me dire combien elles se sentaient blessées par notre présence qu’elle prenaient comme un rejet, et singulièrement par le logo de la Manif pour Tous (point Godwin à l’appui). Après une demi-heure d’échange respectueux – elles m’ont présenté les deux garçons qu’elles ont élevés ensemble – elles m’ont remercié d’être venu les voir, sans prosélytisme, sans slogan ni logo, et en me conseillant de garder mon troisième œil ouvert…. A Bourgneuf-en-Retz, comment oublier cet homme qui dit aux premiers veilleurs arrivés : « Je ne suis pas d’accord avec vous, mais je vous souhaite la bienvenue en Loire-Atlantique ! ». Une discussion autour d’une bière nous a permis de partager en vérité avec cet homme élevé par deux hommes, et, même s’il n’a pas pu participer à notre veillée comme nous lui avons bien sûr proposé, de vivre cette convivialité qui nous manque tant. Je pourrais multiplier les exemples, et ce ne seraient qu’une petite partie, ceux que j’ai vécus personnellement, ou qu’on m’a rapportés.

Voilà le sens de notre veille au cœur de l’espace public : permettre à chacun de retrouver des références communes qui lui permettent de ses relier à ses semblables – d’où notre attachement à l’universalité de nos lectures et de nos thèmes. Chaque veillée se vit comme un forum d’expression libre, une agora culturelle et politique, ou encore une université populaire itinérante, ouverte à tous au cœur de la cité. Tel est l’esprit républicain que nous voulons retrouver et qui n’est bien sûr pas une question de régime – les anciens ou les classiques au XVIIème parlaient déjà de république au sens étymologique de ce qui nous fait partager un destin commun sur un territoire donné – qui n’est qu’en définitive que l’esprit humaniste : nous partageons la même humanité, rien de ce qui est humain ne nous est étranger, selon la formule de Térence. Cet humanisme, bien sûr, se vit à toutes les échelles, et particulièrement à l’échelle de notre pays : les Veilleurs sont attachés de manière essentielle au patrimoine, à la langue, à la culture de France, notre écosystème culturel fondamental. Nous assumons cet enracinement patriotique, l’un de nos cercles concentriques d’appartenance, intermédiaire essentiel entre la personne et l’humanité.

7. Les médias ont souvent qualifié les Manifs pour tous de « rallyes de masse de la bourgeoisie traditionnelle ». C’était assez vrai  sociologiquement : mais n’y a-t-il pas dans ce milieu un début de prise de conscience, et de rejet de l’idéologie matérialiste mercantile née de l’ultralibéralisme ?

Je ne suis pas très sûr que ce soit si vrai que cela sociologiquement. La bourgeoisie traditionnelle s’est certes fortement mobilisée – et honneur à elle, qui n’y avait pas plus que les autres quoi que ce soit à gagner – mais ce serait réducteur – et insultant – d’oublier les parfois très petites gens, à l’origine beaucoup plus variée qu’on ne le croit souvent. Ici encore, les apparences sont trompeuses et les préjugés tenaces. Pour avoir été volontaire à chaque manif, j’ai vu les gens défiler pendant des heures, et objectivement toutes les catégories sociales étaient représentées, pas dans les mêmes proportions évidemment, mais je ne connais pas un seul mouvement de contestation sociale qui ait atteint une telle diversité objective. Je récuse donc l’expression de « rallyes de masse de la bourgeoisie traditionnelle ». A propos des Veilleurs en marche, tous les journalistes ayant marché avec nous – particulièrement les deux jeunes femmes de Rue 89 – ont été surpris par l’hétérogénéité géographique, sociale et générationnelle des marcheurs. Je peux vous assurer que Sébastien de Cognac, Josiane de Paris, Philippe de Nantes, ou Hervé de Rennes, ne rentraient vraiment pas dans les catégories où l’on se plaît à nous enfermer. Beaucoup de jeunes – catholiques particulièrement – ont découvert à l’occasion du vote de la loi Taubira le conflit politique, les Veilleurs leur apportent un espace d’apaisement et d’approfondissement par la pensée et la culture, dans la vigilance comme dans la bienveillance. Et c’est en cette forme radicale et nouvelle de civisme que je place depuis quelques mois mon espérance politique.

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